Des victoires qui ne masquent pas le durcissement de la répression

Il y a 9 mois de cela, nous écrivions que le chemin était long à parcourir dans la lutte contre les poursuites-baillons. Aujourd’hui, la lutte contre ces pratiques continue et entraîne à sa suite toujours autant de victoires que de coups durs.

En effet, 6 militant.e.s de la Confédération Paysanne qui avaient été reconnus comme faisant partie d’une "action collective de lanceurs d’alerte" dans le cadre des mobilisations contre la ferme des 1000 vaches, ont finalement été condamné.e.s le 13 septembre dernier par le tribunal de grande instance d’Amiens, à verser 120 000 euros de dommages et intérêts. En 2013 et 2014, ils.elles avaient participé à des actions de dégradations sur le chantier du projet, mais alors que le tribunal pénal avait finalement reconnu leurs statut de lanceur.euse.s d’alerte, il semblerait que d’autres moyens juridiques aient été activés pour les punir d’avoir défendu l’intérêt général. [1]

Pendant ce temps, à Bure, véritable "laboratoire répressif" contre l’opposition et la résistance, la situation s’enlise. Depuis 25 ans que dure le combat contre le projet CIGEO (Centre Industriel de stockage GÉOlogique) porté par l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), une cinquantaine de procès ont déjà été intentés contre les personnes qui s’opposent à ce que le site ne devienne une "poubelle nucléaire". Au-delà des procès, des pratiques inquiétantes se mettent en place, comme la mise en garde à vue le 20 juin 2018 de Maître Etienne Ambroselli, lui-même avocat de plusieurs militant.e.s. Face à cette situation extra-ordinaire, des centaines d’organisations locales et nationales se mobilisent pour "densifier partout les solidarités et ne pas [se] laisser enfermer dans l’isolement.".

Heureusement, quelques bonnes nouvelles viennent éclaircir le tableau, comme la récente victoire de Sherpa dans le cadre de son procès intenté par Vinci. L’association avait déposé une plainte contre Vinci Construction Grands Projets et sa filiale Qatarie en mars 2015, sur les fondements de travail forcé et réduction en servitude. Vinci avait répliqué en entamant une série de poursuites-baillons à l’encontre de Sherpa et de deux de ses salariées, pour diffamation et atteinte à la présomption d’innocence. 350 000 euros de dommages et intérêts avaient été alors demandés par Vinci, qui a finalement reculé face à la mobilisation de la société civile. Aujourd’hui, Vinci ne réclame plus qu’un euro symbolique.

En parallèle, le collectif On ne se taira pas enregistre une deuxième victoire, puisque dans le cadre du procès en diffamation intenté par Veolia contre Emmanuel Poilane (en sa qualité de directeur de la Fondation France Libertés lors du travail d’enquête que celle-ci avait mené sur la pratique des coupures d’eau), c’est également un euro symbolique qui est finalement demandé, au lieu des 5000 initialement réclamés. Étape importante dans la lutte contre les poursuites-baillons, le Procureur a là estimé que si certains termes employés était effectivement diffamatoires (comme "arnaque" ou "racket"), ils avaient été prononcés de bonne foi et par des personnes qui défendaient l’intérêt général.

Que penser de ces disparités de traitement des parties accusées ? Pourquoi certaines mobilisations fonctionnent et amènent les plaignant.e.s à changer leur fusil d’épaule pour quasiment abandonner les poursuites, tandis que dans d’autres cas, la répression se durcit ?

Médiatiser et dénoncer les poursuites-baillons intentées par certaines grandes multinationales commence à faire son œuvre et à réfréner les ardeurs juridiques de ces dernières, qui craignent probablement que cette publicité malvenue ne nuise à leur image. Cela étant, lorsqu’il s’agit de mettre un terme définitif à de grands projets jugés inutiles et incohérents avec un développement respectueux de l’environnement et des êtres humains, les entreprises ne sont pas si enclines à céder du terrain.

Notes

[1Vous pouvez soutenir le combat contre l’industrialisation de l’agriculture de la Confédération Paysanne par ici